Les Léopards et Sébastien Desabre ont rendez-vous avec l’histoire. Face à l’Égypte, un des chats noirs de la RDC à la CAN, les Congolais doivent sortir leur match le plus abouti pour vaincre le signe indien. S’ils restent sur des défiâtes en 2019 et en 2006, Bakambu et les siens feraient bien de s’inspirer de la génération 74, vainqueur de la CAN en terres égyptiennes et surtout auteure d’une performance mémorable en demi-finale face au pays hôtes. Un parcours que relate le journaliste Faouzi Mahjoub dans son passionnant livre « Trente ans de Coupe d’Afrique des nations » publié en 1988.
« Zaïre 1974. Par la volonté de ‘Dieu de ballon’ »
« Docta » Lobilo, Kibonge « Seigneur », « Citoyen but » Kembo, Kakoko « Dieu de ballon », Mayanga « Good Year », Mbungu « Cara velle », Mavuba « Petit sorcier », Ntumba « Pouce », Ndaye « Assassin »… Vous vous souvenez ? Non, alors permettez-nous de vous présenter les fameux Léopards du Zaïre, ambassadeurs de l’Afrique au rendez-vous de l’élite mondiale du ballon rond, en République fédérale d’Allemagne, en juin 1974.
Il avait fallu, rappelez-vous, un marathon de dix matchs, des expéditions à Lomé, Douala, Accra, Lusaka et Casablanca pour que les joueurs au maillot jaune (ou vert) frappé d’une tête de léopard rugis sant assurent leur qualification. une performance synonyme pour eux d’une générosité exceptionnelle — excessive ? — du président Mobutu Sese Seko : une maison, une voiture, quinze jours de vacances payées hors du Zaïre pour chacun des vingt-deux héros. Un fleuve de bière a coulé à Kinshasa, le dimanche 9 décembre 1973 au soir. Les bars-dancing ont fait le plein. C’est la fête, même si, quelques heures aupa-ravant, sur la pelouse bosselée du stade du 20-mai, devant quatre-vingt mille spectateurs fanatisés, les Zaïrois ne l’ont emporté sur le Maroc que grâce à un coup de pouce de l’arbitre ghanéen George Lamptey
(3-0).
Le lendemain, la presse kinoise cède à l’euphorie : « Le Zaïre sera champion d’Afrique des nations au Caire, en mars 1974 !» affirme-t-elle. Son lyrisme outrancier n’a pas de bornes : « Le grand tam-tam d’Afrique, écrit Elima, sensibilisera l’opinion zaïroise sur la haute portée nationale de la croisade cairote. Et nous ne doutons pas un seul instant, qu’avec le soutien logistique du Guide, nous aboutirons à la victoire finale au Caire. » Le ballon est alors l’affaire de tout un peuple qui a trouvé dans les victoires de ses Léopards ces satisfactions d’amour-propre qui lui manquent tant dans d’autres domaines.
On comprend que la responsabilité qui incombe aux Kakoko, Kidumu et autres Ndaye avant le voyage en Égypte est d’autant plus pesante que le succès exige le succès. Seize millions de Zaïrois attendent que soit effacé le fiasco de Douala, en février 1972. Favoris de la VIII* édition de la Coupe des nations, les Léopards avaient alors gaspillé leurs chances et terminé à la quatrième place après deux sévères défaites face au Mali (3-4) et au Cameroun (2-5). Si l’on examine les arguments techniques présentés par les joueurs conduits par l’entraîneur yougoslave Blagoje Vidinic depuis 1971, il est certain que l’équipe zaïroise possède objectivement une très grande chance de reconquérir la Coupe.
Mais les deux premiers matchs du Zaïre, le 3 mars 1974 à Damanhour face à la Guinée (2-1) et le 5, à Alexandrie, devant le Congo-Brazzaville (1-2) vont susciter des appréciations peu flatteuses sur la valeur de ses éléments et la qualité de son jeu. Visiblement saturées par plus de vingt mois de compétitions internationales et locales acharnées, les vedettes zaïroises paraissent laborieuses, elles ont les jambes lourdes. Elles jouent de manière stéréotypée, caricaturale. Le Syli de Guinée, lui aussi mécon-naissable, a offert tellement de cadeaux que l’opportuniste Ndaye a signé une victoire sans peine et sans mérite. Les Diables rouges du Congo, tenants du titres, agressifs et hargneux, ont pour leur part, bousculé leurs voisins et tiré profit de deux erreurs du portier Kazadi pour remporter un succès de prestige. Heureusement pour les troupes de Vidi-nic, l’intermède mauricien permet de recharger les accus et de s’ouvrir les portes des demi-finales : 4-1.
C’est paradoxalement face à l’Égypte, favorite du tournoi, et sur la pelouse du Caire, que le rétablissement espéré se produit. Sur le plan tactique d’abord, le bien-fondé du dispositif choisi (4-2-4) se traduit par une domination territoriale assez nette. On enregistre aussi une amélioration du jeu collectif et un véritable souci de la construction. Les performances individuelles s’en ressentent. Si la défense — le talon d’Achille de l’ensemble malgré les jaillissements de l’étonnant Lobilo
— connaît des sueurs froides devant Ali Abugreisha et ses camarades, auxquels elle ne concède cependant que deux buts, la ligne d’avants fait basculer en sa faveur le sort du match, grâce au punch de Ndaye (deux buts, 55e, 72e) et à l’adresse de Kidumu (61e) : 3-2.
En finale, le 12 mars, la Zambie constitue un adversaire de taille, avec son organisation tactique bien au point. L’attaque zaïroise, soutenue par des demis très actifs, a du mal à trouver la faille pour combler le handicap d’un essai victorieux de Kaushi. Une décision complaisante de l’arbitre libyen Gmar, validant un but entaché d’un hors-jeu signalé par le juge de ligne, permet à l’inévitable Ndaye de marquer : 1-1. Les prolongations paraissent favorables aux Zaïrois qui doublent la mise par le même Ndaye sur coup franc : 2-1 (118 minute).
La victoire n’est pourtant pas acquise car une brutalité de Mwepu, suivie d’une carence de Kazadi, est exploitée par le Zambien Sinyangwe : 2-2. La finale doit être rejouée.
Jeudi 14, dans un stade sans spectateurs, on prend les mêmes et on recommence. Ndaye fait de nouveau parler la poudre. Habile dans le démarquage, le geste prompt, calme et serein lors des phases de jeu décisives, il sait s’intercaler, avec à propos, entre les défenseurs centraux de la Zambie. Une première fois, il « efface » d’un coup de rein irrésistible son garde du corps Makwaza et s’en va battre Mwape : 1-0.
La seconde, il récupère une déviation géniale de Mayanga pour écraser la balle dans les filets : 2-0. De la belle œuvre qui donne au Zaïre son deuxième titre africain en six ans. Avec quatorze buts, dont neuf de Ndaye, l’esprit offensif du Zaïre a mérité la victoire. Kidumu brandit le trophée Salem qui n’aura, en deux ans, traversé qu’un fleuve.
Ces bonnes feuilles sont tirées du livre « Le football africain. Trente ans de Coupe d’Afrique des nations 1957-1988 », page 72 à 75, de Faouzi Majhoub. Publié en 1988 (Paris) par le Groupe Jeune Afrique.
Elisha Iragi