En cette clôture du mois de mars, mondialement dédié aux droits de la femme, et par extension « à la femme », FootRDC se fait le devoir de mettre en lumière ces étoiles féminines qui scintillent dans le milieu du sport et du foot congolais. Celle sur qui sont braqués nos projecteurs aujourd’hui se nomme Maguy Safi, la dame de fer derrière tous les succès de l’équipe féminine du TP Mazembe. Son histoire mérite d’être racontée afin que les plus jeunes s’en inspirent, et s’arment du courage pour rêver réussir sur un terrain où les femmes ne sont souvent pas les bienvenues.
Si vous ne la connaissez pas encore, ne vous en faites pas. Nous vous aidons laconiquement à la découvrir rien qu’à partir de ses œuvres, qui sont elles-mêmes plus expressives que tous les adjectifs que nous pourrions à employer. Maguy Safi est la toute première coache désignée par la coordination du TP Mazembe pour entraîner l’équipe féminine, créée en 2021, sur recommandation personnelle du président de la FIFA, Gianni Infantino, deux années plus tôt. Avant son remplacement il y a trois jours à peine, Maguy Safi venait de remporter son troisième titre de rang à l’entente urbaine de football féminin de Lubumbashi. Un titre qui s’additionne à tant d’autres gardés au frais son armoire à trophées, où l’on retrouve une Coupe du Congo féminine, un trophée du tournoi UNIFFAC (des clubs de l’Afrique Centrale) qualificatif pour la phase finale Ligue des Champions féminine, et deux championnats provinciaux du Haut-Katanga.
Mais qui pour parler d’elle si ce n’est elle-même ? Nous avons interviewé Maguy Safi pour retrouver ses empreintes dans le passé et connaître en même temps où l’emmène ce métier (singulier pour la femme congolaise) qu’elle a choisi. Il faut dire qu’elle n’est pas tombée de la dernière pluie. La coache championne du Congo transmet ce qu’elle a appris. “Je suis licenciée en éducation physique et gestion sportive. J’ai la licence A fédérale”.
Débuts remarquables et un parcours impressionnant dans l’athlétisme
Puisque son histoire avant foot est belle, Maguy Safi peut nous la raconter passionnément. “Toute petite, j’ai commencé à développer ma passion pour les sports. J’ai fait mon école secondaire à Kitulizo, une école catholique salésienne de (à Lubumbashi ndlr). Et là je faisais l’athlétisme pour le compte des jeux salésiens. Puis, je suis allée à l’entente urbaine d’athlétisme de Lubumbashi, au championnat provincial par la suite, j’ai gagné pas mal de médailles. J’ai représenté la province du Katanga à la compétition nationale d’athlétisme en 2008, 2011 et 2013, et j’ai été sacrée championne du Congo à trois reprises. Enfin, j’ai représenté la RDC à un tour international organisé en Corée du Sud en 2013, là malheureusement j’ai été éliminée dans ma série et classée 4ème au final.” Plus surprenant, Maguy Safi a eu du mal à se départir de son profond attachement au sport du Roi Pelé, en dépit de ses prouesses à celui d’Usain Bolt.
Entrée dans le football par la grande porte
Déterminée à faire son chemin dans le football, et sûre de ses moyens, Maguy Safi tourne le dos à l’athlétisme et vit plutôt bien sa reconversion en devenant d’abord joueuse du DCMP Bikira il y a presque 10 ans en arrière. Elle aime tellement le football qu’elle en fera une spécialité dans ses études. Ce qui lui ouvrira les portes de la célèbre Katumbi Football Katumbi (KFA). “À ma dernière année d’études d’éducation physique et gestion sportive à l’ISP (Institut Supérieur de Pédagogie ndlr), je me suis spécialisée en football. Après, je suis recrutée à la KFA comme encadreure physique. J’ai été ensuite engagée comme coach titulaire au DCMP Bikira, où j’ai passé 7 ans, puis on a créé la section féminine de Mazembe en 2021 et j’ai été prise comme entraîneure principale.”
Aujourd’hui, Maguy Safi s’occupe également de la préparation physique des Léopards dames seniors et des Léopards dames U20. Une montée en dimension dans un parcours déjà mirifique. Mais attention, ces traits d’histoire risquent de faire à croire que tout a été aisé pour elle. “Au départ, c’était difficile de m’intégrer dans ce métier parce qu’il est purement considéré comme pour les hommes. Entant que femme, ce n’était pas du tout évident. Mais j’ai eu des personnes qui m’ont encouragé, notamment le coach Régis Laguesse (ex-formateur et Coach de la la KFA ndlr), il m’a beaucoup encadré. Cela m’a procuré le plaisir de continuer. Puis à DCMP où je suis partie entraîner, j’ai vite été adoptée parce que je fus moi-même joueuse de cette équipe. Aujourd’hui, les gens me comprennent et m’acceptent, alors que ce n’était pas le cas au début et je suis contente pour ça”, confesse Maguy Safi à cœur ouvert.
Arrivée à Mazembe et une gestion intelligente du vestiaire pour des succès cycliques
Comme nous l’avons souligné, Maguy Safi est la première coache du FCF Mazembe. Malgré l’arrivée de sa remplaçante à ce poste, il n’en demeure pas moins probable que Maguy Safi reste dans le staff technique de cette équipe avec laquelle elle a tout connu. Quoiqu’il se passe, son nom est déjà inscrit en majuscule dans la légende des Corbeaux dames et du football féminin de la RDC. Mais comment est-elle arrivée au TP Mazembe ? “Nous sommes en 2021. On a eu une première rencontre avec le président Jeef Kapondo, à Kinshasa (actuel président du FCF Mazembe). Je venais de terminer ma formation pour la licence B et A fédérale, faite avec l’appui de la coordination de Mazembe. Les dirigeants m’avaient déjà parlée, ils m’ont donc choisie et m’ont fait confiance pour conduire une équipe naissante et j’ai accepté le challenge.” Ainsi démarra l’histoire, l’incroyable l’histoire. “On a commencé par le recrutement des joueuses à Kinshasa. Avec ces athlètes recrutées de toute part, c’était plutôt difficile de construire une équipe et de bien nous en sortir à l’entente urbaine de football de Lubumbashi. Mais nous avions un objectif à réaliser, nous sommes restées déterminées et nous avons remporté le championnat de l’entente, le championnat provincial et nous avions fini troisièmes à la Coupe du Congo féminine. C’était déjà quelque chose de spécial pour moi”, se souvient-elle.
Derrière ces succès cycliques, se cache une gestion intelligente et équilibrée du vestiaire féminin, bien aidée par sa formation académique. “Les filles, il faut juste les connaître et les comprendre. À l’ISP, on m’a appris la pédagogie, la psychologie et la sociologie du sport… J’ai appris aussi à beaucoup sur le comportement de l’être humain et sur la manière de gérer les joueurs (ses). Il y a certes des problèmes, mais je les gère bien, et les filles m’écoutent parce que je ne les encadre pas que sur le football, mais dans plusieurs aspects de la vie (social, psychologique…). Elles sont là et elles m’acceptent, elles écoutent mes conseils et ça me réjouit.”
Et pourquoi pas les femmes ?
Devenues un modèle, une référence dans le football féminin, Maguy Safi se convainc que les femmes comme elle ont des arguments à faire valoir dans le milieu du foot, et pas qu’en entraînant les équipes féminines. “Les femmes peuvent entraîner les clubs masculins. On fait ensemble (avec les hommes ndlr) des formations, on apprend de mêmes cours et on fait de mêmes pratiques. Après, le problème c’est le mental. Si on connaît ce qu’on fait, on peut entraîner une équipe masculine sans aucun souci. J’applique à Mazembe Dames les méthodes que j’ai apprises dans mes études et différentes formations, et ce sont les mêmes qui sont d’application dans les équipes masculines. Donc, je crois qu’une femme peut bien conduire une équipe masculine, à condition qu’on lui fasse confiance, car sans cela, il est difficile de bien travailler.”
Le football reste tout de même un sport où les exigences et attentes sont toujours très élevées, peu importe la version et les catégories. Ces exigences le sont encore plus dans un club prestigieux de la taille du TP Mazembe, là où le nom pèse très lourd, car chargé d’histoire. L’obligation des résultats se transforme alors parfois en pression pour les joueurs et joueuses ainsi que le staff technique. Et Maguy Safi n’en a pas été épargnée. Comme tout entraîneur préparé à aller loin, elle gère (la pression) et absorbe. “Il y a bien sûr la pression mais ça ne me stresse pas. Le problème c’est le travail. Lorsque je travaille, je fais confiance à mes joueuses et je fais confiance à mes méthodes, je me donne à fond afin de faire de bons résultats. Il y a une petite pression parfois, mais avec notre métier, il faut avoir un mental fort pour savoir gérer tout ça. C’est ainsi qu’on parvient toujours à réaliser les objectifs qu’on se fixe.”
Dans la peau de la Championne du Congo
Dès sa première saison, le FCF Mazembe rêvait déjà grand. Après avoir tout remporté en province, les Corbeaux dames échoueront aux portes de la finale de la Coupe du Congo féminine, battues par DCMP Bikira de Kinshasa, c’était en 2021. L’année d’après, le graal est atteint. Mazembe balaie tout sur son passage et remporte le trophée national, Maguy Safi et ses filles sont sur le toit du Congo. “Ça reste des moments inoubliables pour moi. J’ai entraîné DCMP pendant 7 ans, et six fois j’ai amené l’équipe à la Coupe du Congo mais je n’avais jamais gagné la Coupe du Congo. Et à Mazembe, j’ai remporté cette coupe que j’ai attendue depuis le début de ma carrière. J’ai beaucoup travaillé pour ça, j’ai été aussi patiente et je l’ai obtenue. C’était le temps de Dieu. Un grand plaisir pour moi de l’avoir fait. Mais je ne compte pas m’arrêter par là, je vais continuer à travailler et multiplier des formations pour arriver à faire plus que ça”, s’exprime la Championne.
Cette joie de Kinshasa se prolongera en Guinée-Équatoriale, où les Congolaises terminent à la première marche au tournoi de l’UNIFFAC. Ensuite, elles connaîtront un apprentissage douloureux à la phase finale de la Ligue des Champions féminine 2022 organisée au Maroc. “C’était notre première participation. Nous avons trouvé des équipes plus expérimentées et mieux assises que nous, à l’image de Mamelodi, Wadi Degla autre Baylesa du Nigéria. C’était très important pour nous de participer à cette compétition, pour apprendre d’autres choses, savoir comment nous organiser aussi et comment travailler”. Les Corbeaux avaient été éliminés en phase des groupes, avec une victoire (face au Wadi Degla) en trois matchs, 3èmes du groupe derrière Mamelodi Sundowns (RSA) et Bayelsa (Nigéria).
L’ancienne amateure de l’athlétisme est aujourd’hui bercée dans le football et compte y demeurer longtemps, poursuivant lentement sa route avec son ambition suprême de « Figurer un jour parmi les grands coachs de la RDC”, car c’est ça qu’elle affectionne de plus. “Je rêve d’atteindre un niveau élevé dans le coaching. Je suis pas pressée, je me donne le temps d’apprendre pour y arriver.”
Interview réalisée par Morine Sumpi, portrait rédigé par Isaac B’ampendee